Le bicéphale est un objet de plaisir.
Ce n'est pas sa faute, la nature est la seule responsable.
Donc, quand il voit "Beaujolais" sur une bouteille, la case "plaisir immédiat et simple" clignote si fort dans sa tête qu'il lui est impossible de tenter de résister à un achat compulsif.
Etre un objet de plaisir n'est pas simple tous les jours...
Surtout que le Beaujolais donne aussi de très grands vins.
Sur tous les terroirs de l'appellation, le cépage gamay peut faire des vins avec un beau potentiel de vieillissement, comme ce Morgon 2003 que nous avions goûté ensemble.
Le gamay a ce pouvoir de gourmandise simple sur les vins jeunes, qui va vers une complexité en vieillissant.
C'est pour cela que le bicéphale est un fan ultime du Beaujolais.
Dans chaque terroir, il y a (au moins...) une perle, un vigneron qui extrait ses raisins et qui le vinifie pour donner un jus immédiatement facile et agréable, qui peut se densifier avec le temps.
Jean-Paul Brun a une solide réputation dans le beaujolais.
Ce n'est pas un petit producteur, ni le petit nouveau qui vient de s'installer.
C'est une des références de l'appellation, présent dans de nombreux linéaires de cavistes et de nombreux restaurants.
Pourtant, Jean-Paul Brun est plutôt atypique dans le beaujolais.
Laissant les méthodes traditionnelles de vinification à la beaujolaise (la macération semi-carbonique, fermentation intra-cellulaire d'un raisin non foulé, non éraflé, libérant naturellement du CO2 et donnant des vins fruités au goût typique), il préfère se dire plus "bourguignon".
Une petite vidéo trouvée sur Bourgogne Live (LA référence!) où Jean-Paul Brun explique son terroir et ses méthodes.
Jean-Paul Brun trie le raisin, l'égrappe, avec des longues cuvaisons.
Il le fait avec passion et sérieux, ne vinifiant qu'avec des levures indigènes présentes dans le raisin, en voulant faire des vins qui "collent" le plus à son terroir des Pierres Dorées.
C'est donc avec plaisir que nous ouvrons une bouteille de beaujolais issu de ses jeunes vignes de gamay, une "Cuvée Première 2010" de Jean-Paul Brun.
La bouteille est très esthétique et m'a clairement tapée dans l'oeil chez le caviste.
C'est une super belle étiquette qui sent la convivialité, le partage, l'accès facile.
C'est dessiné dessus, c'est fait aussi pour les jeunes beaux et les jeunes belles qu'on imagine à la dernière mode.
Aucune mention de l'origine du vin sur l'étiquette.
La mention "beaujolais" ne serait pas assez "IN" et ferait fuir les jeunes beaux??
Ca me fait toujours "tiquer" d'entendre un vigneron parler de son terroir comme la chose la plus précieuse au monde et de voir qu'il a, en même temps, un peu peur de le mettre en avant sur son étiquette...
Peut être, avec toute ma naïveté, ce n'est que par pur souci d'esthétisme.
Sur la contre-étiquette, il y a un peu plus d'information.
Laisser faire les levures naturelles du raisin peut sembler logique.
Pourtant, dans le beaujolais, il y a une grosse consommation de levures industrielles.
On peut les choisir sur catalogue, et ce sont les responsables du fameux goût immonde de banane et autres daubes qui gangrènent l'appellation.
Allez, on s'en verse un joli verre!
La robe du vin est typique du gamay, rubis clair, avec une jolie transparence donnant de la luminosité au verre.
Je suis en territoire connu, je l'aime cette couleur du gamay jeune.
A la première inspiration, l'odeur de cerise flotte dans mes narines.
Ca sent le plaisir...
En bouche, ça se complique un peu.
Je m'attendais à un panier de fruits rouges dans ma face... Bah, oui, du gamay de jeunes vignes, sur une appellation Beaujolais...
Il y a effectivement du fruit, de la cerise kirshée surtout.
Mais ce qui frappe , c'est la grosse trame acide du vin. Elle commence du début à la fin, s'étirant en "mangeant" le fruité du vin. On retrouve, en aérant un peu, des notes de cassis.
Le vin est droit, de belle longueur.
Mais quoique l'on fasse, l'équilibre du vin bascule sur une acidité plus caractéristique des jeunes vins de cépage pinot noir que sur du gamay.
Le vin n'est pas déplaisant, je suis juste comme un peu perdu dans un bal masqué, sans reconnaitre aucun visage ami.
Sans avoir vu la couleur du vin, au milieu d'une dégustation, je serais parti sur du pinot noir...
Ca me rappelle un vin amené lors d'une séance de dégustaiton de beaujolais par François, activement connu sur les forums sous le pseudo de Darth Tux, un gamay "familial" fait sur le domaine de Geantet-Pansiot (c'est la bouteille de droite).
Impossible à l'aveugle de deviner que c'est du 100% gamay, alors que j'avais bien l'impression d'être en Côtes de Nuits...
C'est assez déroutant.
Je comprends l'envie de bien faire de Jean-Paul Brun.
Je mesure aussi tout le potentiel du gamay, longtemps décrié comme un cépage de mauvaise qualité.
Mais, en tant que consommateur, je me sens un peu déçu.
J'avais très envie de beaujolais, je bois autre chose.
Surtout que la méthode beaujolaise n'est pas moins qualitative que la méthode bourguignonne.
C'est un choix du vigneron.
Je n'y adhère pas.
Mais à chacun de se faire un avis, le vin étant tout de même, objectivement, bon.
Il plaira sûrement au bobo parisien qui trouvera, dans l'acidité du vin, une complexité et une finesse qui raviront ses papilles.
Peut être même un beau potentiel de vieillissement.
Mais ce type de vin ne me bougeait déjà pas des masses en Bourgogne...
Moi, je voulais juste de la gourmandise, du beaujolais...