Comme chacun le sait, depuis le début du blog, le bicéphale buveur est hautement mondain...
Alors quand nous avons reçu un courriel d'invitation à aller déguster des Anjou-rouge à Paris, dans le marais, dans un cadre privé, "destiné aux journalistes et aux
bloggeurs influents", notre première réaction fut de pouffer.
Le message est allé grossir la corbeille au milieu des spams, à la vitesse d'un cul-sec à la bière à Amiens.
Etre entouré par des gens qui gazent plus haut que la partie du corps qui sert, entre autres, à s'asseoir, était un concept difficile pour le bicéphale.
Nous sommes plus habitués aux fêtes de vignerons, populaires, avec une meute d'amis.
Mais comment refuser de boire gratuitement dans ces temps difficiles et s'empêcher de découvrir un terroir bien loin du quotidien de l'unicéphale bressan...
Surtout que nous revenions d'un mariage dans la Thiérache picarde (longue vie aux mariés), où le crémant du Jura a coulé à flots, trouvant de nouveaux
adeptes!
Donc, rendez vous lundi soir à l'invitation du syndicat des vins de Loire, au milieu d'une faune de journalistes parisiens.
Dès l'entrée, nous ne sommes pas déçus, deux vigiles d'une masse musculeuse imposante, gardent la porte vitrée électrique de la cour du Marais, dans le troisième arrondissement de Paris, pas le plus malheureux des quartiers...
Ce qui nous a fait le plus sourire a été la remise du dossier de presse avec une multitude de chiffres (pour journalistes statisticiens?), avec un carnet de
dégustation où chaque bouteille est décrite par un oenologue qui écrit ce que l'on doit ressentir en buvant le vin (pour journalistes à court d'idée?).
Et, là, le quartier bobo tient toutes ses promesses avec dégustateurs au regard dédaigneux, levant le petit doigt, crachant avec élégance, et lâchant un petit "oui,
pas mal".
Parce que, même si le lieu me rebute, au milieu des petits fours sur plateau d'argent (on s'est bâffré), c'était des vignerons qui venaient présenter leur vin,
fruit de leur labeur.
L'Anjou est une région viticole regroupant environ 200 communes, coincé entre la région nantaise et la Touraine, entourant Angers.
L'Anjou-rouge est une dénomination regroupant des vins rouges produits à partir des cépages cabernet franc et cabernet-sauvignon.
L'Anjou-villages est une sélection de terroirs AOC (Appellation d'Origine Contrôlée) dans l'AOC Anjou... Une AOC dans l'AOC, avec un relief particulier sur les
pentes douces de la Loire avec des sols sains et bien exposés.
Ah, les labyrynthiques AOC censées aider le consommateur et qui, paradoxalement, en perdent quelques uns à chaque virage...
Comme le bicéphale est l'animal le plus proche du poireau, il méconnaissait le vin rouge de l'Anjou.
Il s'était déjà frotté à la plus célèbre production locale, le fameux "coteaux du Layon", vin blanc produit le long de la rivière Layon, liquoreux à souhait.
Le sucre n'est pas vraiment la tasse de thé du bicéphale, et, après quelques essais infructueux, il l'avait mis dans un coin d'un de ses cerveaux à la rubrique
"autant boire du soda" (nous restons évidemment ouverts à toute proposition visant à nous faire changer d'avis).
C'est donc le verre Riedel brûlant d'impatience (que j'ai d'ailleurs tenté de chourer, sans résultat...), que nous avons
déambulé au milieu de la quinzaine de vignerons proposant leur terroir en rouge.
Nouveauté pour nous, il y avait un sens de dégustation, hors de question de déambuler au gré des envies, c'était mal, le carnet de dégustation à la main, c'était
une queue leu-leu bien trop sage à mon goût.
Alors qu'à Amiens, la chenille est une institution.
N'étant pas journaliste, ni bloggeur influent (même si vous êtes de plus en plus nombreux à nous lire... Vous avez vraiment du temps à perdre...), nous n'avions pas
l'impression de faire partie de la cible communicante.
Nous avons donc profité pleinement de ce que les vins rouges d'Anjou ont à proposer, bien loin du cadre bourgeois parisien.
L'Anjou-rouge est un vin de plaisir immédiat, jouant sur la simplicité et le fruit, en réel décalage de l'image branchouille que le syndicat des vins de Loire a
tenté de fabriquer ce soir là.
Nous avons eu des vrais coups de coeur à partager, avec des vignerons fiers de leur terroir et de leur travail.
La première claque a été donnée par l'Anjou-rouge 2009 du domaine de La Croix de
Galerne, avec à la baguette ce soir là, Yvette Roger, qui nous présentait un vin sur le fruit, doux, sans aspérité, sans trace d'élevage.
Ancienne propriétaire sur Bordeaux, où "n'importe quel bâtiment devient un château", la famille s'est repliée les deux pieds dans le
schiste à Martigné-Briand.
Le pur vin de copains à ouvrir facilement et qui fera mouche à tous les coups.
Je n'ai pas d'idée sur le potentiel de garde, on tentera l'expérience. Mais, à mon avis, ce ne sera pas un grand risque de le laisser deux ou trois ans à la
cave.
Un petit pas chassé plus loin, et on découvre un vin de l'appellation bien différent, mais pas moins intéressant, l'Anjou-rouge 2009
du domaine des Martin.
François Martin, vigneron d'une trentaine d'années, nous montre un autre terroir.
Plus au sud dans l'appellation, dans les Deux Sèvres, à quelques encablures de Cholet, le sol n'est plus schisteux, mais sablonneux et caillouteux.
Le vin a une acidité un peu plus marquée, plus sur de la groseille, frais sans être agressif, peut être un peu plus structuré.
Je ne peux pas m'empêcher de penser aux vins rouges du mâconnais, même si le cépage cabernet franc est bien différent du pinot noir bourguignon.
Le domaine des Martin nous parle de viticulture raisonnée, avec une utilisation des produits phytosanitaires qu'après une bonne évaluation de la vigne.
Le domaine de Brizé nous a été présenté par la deuxième des
deux seules vigneronnes présentes, Line Delhumeau avec un vin Anjou-rouge 2008 surprenant de complexité.
2009 a été un année de gel et les cabernets ont un peu souffert.
Mais le domaine, qui est certifié en lutte raisonnée par la certification Terra
Vitis, en a tiré un vin terrien avec une présence de sous bois derrière du fruit noir (de la mûre) et de la fraise (bien mûre...).
Les petites touches de moka sont présentes en finale pour finir de séduire.
Un vin pour repas de fête, que je vais avoir du mal à laisser vieillir deux petites années en cave...
Pour ceux qui trouvaient que ça faisait bien trop longtemps qu'on n'écrivait plus sur les vins bio, le domaine les Grandes Vignes va vous laisser échapper un soupir de soulagement.
Certifié en Agriculture Biologique depuis 2009, le
domaine proposait sa "cuvée L'aubinaie" en 2008 et 2009.
C'est le 2008 qui a emporté les suffrages. J'ai eu le plaisir de partager la dégustation avec Ghislain de Closel, pigiste chez Rustica, le magazine du jardin qui vise le même lectorat que "jeune et jolie" (je crois...), qui prenait plaisir à chaque gorgée.
L'Aubinaie 2008, qui était en conversion bio, montre un fruit rouge présent signant le cabernet franc avec des notes terreuses très agréables.
Le côté boisé vanillé de la première gorgée (dû à l'élevage en fût de chêne) est discret et ne gâche pas le fruit.
Ce vin, par contre, je l'attendrai bien un peu, juste histoire de gommer l'élevage pour laisser le fruit et le tanin s'exprimer.
Un très agréable contact avec Monsieur Vaillant, qui nous expliquait que la biodynamie n'était pas de tout repos.
Avant de monter à la capitale, il a dû se lever à 4 heures du matin, pour observer sa vigne, dépendant du cycle de la lune pour les traitements
biologiques.
A noter aussi un surprenant Anjou-rouge 2005 du domaine du Bois Mozé.
Le vigneron n'était pas présent, et j'ai soulevé des montagnes pour le goûter.
En fait, le bicéphale s'est juste contenté de réclamer comme un sale gamin un millésime 2005, et c'est Line Delhumeau qui, lasse de mes petits cris stridents, me
l'a servi... Merci!
J'ai pu goûter un vin un peu plus évolué, structuré, loin d'être enterré, avec des notes de myrtilles, d'une onctuosité surprenante à l'odeur comme en
bouche!
ah, bah, oui, OK, ça peut se laisser vieillir de l'Anjou-rouge, et les cinq années ne lui ont même pas fait peur...
Alors, la très grosse cerise sur le gâteau est qu'aucun de ces vins n'excèdent 8 euros en départ de cave (oui, oui, Maryse, pas plus de 8 euros!).
Un concentré de plaisir à partager entre amis pour ce prix, c'est bien cool...
Une place dans ma cave pour l'Anjou-rouge va être réservée entre mes trousseaux du Jura et mes Beaujolais-village...
Sinon, pour finir en feu d'artifice, le syndicat des Vins de Loire avait prévu un mini-concert de Pierre Souchon, qui n'a bu que de l'eau durant le tour de
chant.
Allez hop, un petit extrait pour les plus mélomanes (...)
Moi, au summum de ma forme, bien fatigué d'avoir craché à l'intérieur, ai montré que le bicéphale savait reprendre en choeur durant les 10 chansons...
Dans ce monde obscur du bobo parisien, je n'ai pas fait honte à la communauté du bicéphale!
Et je ne me suis même pas fait vider par les vigiles...
david